La décarbonation de l’industrie est un enjeu indispensable pour que la France puisse atteindre ses objectifs climatiques à l’horizon 2050, définis par la Stratégie nationale bas carbone. Et pour cause, près de 20% des émissions de gaz à effet de serre sont encore issues des activités industrielles sur notre territoire. D’ici 2030, l’industrie doit encore réduire de 35% ses émissions de CO2 par rapport à 2015 et viser une baisse de 81% à l’horizon 2050. Au-delà de l’aspect environnemental , la décarbonation de l’industrie est également présentée comme une garantie de performance et de compétitivité. Que ce soit par l’augmentation du prix de la tonne carbone, l’instauration probable d’une taxe aux frontières ou tout simplement la flambée du prix de l’énergie, la décarbonation a un impact direct sur les coûts d’une entreprise, sa performance et son empreinte environnementale.
De manière plus concrète, la décarbonation de l’industrie vise à accompagner les acteurs de l’industrie dans la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, principalement du dioxyde de carbone (CO2). Défi économique et technique, décarboner l’industrie suppose que les acteurs mettent en place des actions pour limiter l’empreinte carbone inhérente à leur activité, de la source d’énergie consommée aux émissions émanant des procédés industriels.
Selon la norme internationale, il existe trois niveaux d'émissions de gaz permettant de quantifier l'ensemble des impacts générés par la production et la consommation d'un produit : les émissions directes liées au processus de fabrication d’un produit (scope 1), les émissions indirectes liées aux consommations énergétiques (scope 2) et les autres émissions de gaz à effet de serre liées à d’autres étapes du cycle de vie d’un produit comme l’approvisionnement, le transport, l’utilisation et la fin de vie (scope 3).
Depuis 1990, l’industrie semble pourtant à la pointe de la décarbonation, ayant ainsi réduit de 44 % ses émissions de CO2 contre 12 % pour le reste de l’économie. La raison principale : le phénomène de délocalisation vers des pays où le coût du travail est moins élevé. L’amélioration de la performance environnementale des sites de production français a en réalité été moins forte, tandis que la facture d’énergie continue de son côté de grimper. La récente hausse des prix du gaz et de l’électricité devrait persuader les industriels : il est temps de passer à la vitesse supérieure. Mais les tickets d’entrée pour décarboner sont souvent lourds. Le travail conduit par la Direction générale du Trésor a permis de dessiner le portrait-robot des sites industriels investissant dans leur décarbonation. Seule une minorité d’acteurs investissent pour réduire leurs émissions de GES. En 2019, les entreprises industrielles qui se sont engagées dans la décarbonation de leur activité ont investi 311 millions d’euros pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.
La preuve par l’exemple : des technologies de décarbonation sont encore trop coûteuses pour que les industriels choisissent de les développer spontanément. Dans la sidérurgie par exemple, le captage et le stockage de CO2 est une technologie dont le fonctionnement coûte (70 à 110€/t). Des soutiens à l’investissement comme ceux pilotés par l’ADEME et des soutiens publics peuvent permettre de rendre les projets plus attractifs aux yeux des acteurs industriels notamment en termes de retour sur investissement.
Quels sont les dispositifs de soutien aux investissements mis en place pour encourager la décarbonation de l’industrie ?
Les entreprises industrielles ont certes avancé sur la voie de la réduction de leurs émissions de CO2 mais il reste encore beaucoup à faire.
Des émissions liées à la fois à la combustion de l’énergie mais également aux procédés industriels, et dont les ¾ sont générés par des secteurs énergo-intensifs tels que la chimie, la métallurgie et les minéraux. Ces industries lourdes, grandes consommatrices d’énergies fossiles, se partagent ainsi l’essentiel de la responsabilité des émissions de gaz à effet de serre ayant pour conséquence le réchauffement climatique. Le grand défi de notre siècle.
Depuis plusieurs années, les stratégies d’investissement en matière de décarbonation sont encouragées par des politiques économiques. En termes de réduction des émissions de GES dans le secteur industriel, le gouvernement s’appuyait principalement sur les instruments suivants :
Bousculé par la crise sanitaire mondiale du COVID-19, le gouvernement a choisi de mettre en place en septembre 2020 le plan France Relance : un ensemble de mesures visant à soutenir et redresser durablement l’économie française. Inédit, ce plan de 100 milliards d’euros est depuis piloté sur trois volets : l’écologie, la compétitivité et la cohésion. L’ambition d’un tel projet : créer une feuille de route incluant des mesures concrètes, à destination de tous les acteurs, pour la refondation économique, sociale et écologique du pays. La décarbonation de l’industrie en est un axe majeur.
Il y a un an, le gouvernement définissait ainsi les grandes lignes d’un soutien ambitieux pour l’industrie, offrant une opportunité aux acteurs d’investir dans des équipements moins émetteurs en CO2. Avec un budget global de 30 milliards d’euros dédiés à la transition écologique, une enveloppe de 1,2 milliard d’euros avait été allouée à l’industrie, sur la période 2020-2022, pour améliorer l’efficacité énergétique, électrifier les procédés de fabrication, décarboner la production et encourager la production de chaleur bas carbone. Une aide également allouée pour renforcer les dispositifs existants : les fonds Chaleur et Économie circulaire pilotés par l’ADEME.
Dans cette dynamique, plusieurs nouveaux dispositifs de soutien à la décarbonation des entreprises industrielles ont été mis en place en septembre 2020 :
En complément des appels à projets, un guichet d’aide à la décarbonation de l’Agence des services de paiement a été mis en place pour les projets d’un montant inférieur à 3 millions d’euros. L’objectif étant de soutenir les projets d’investissements d’efficacité énergétique, de réduction de consommation d’énergie et de décarbonation. Ce dernier est ouvert jusqu’au mois de décembre 2022.
Selon le premier bilan du Plan France Relance publié par le gouvernement, les 30 des 100 milliards investis ont permis aux entreprises d’accélérer leurs procédés de décarbonation. Pour l’industrie, 99 premiers projets ont été retenus vont permettre de réduire de 1,3 MtCO2 par an les émissions de l’industrie grâce à des investissements à hauteur d’un 1 milliard d’euros facilités grâce à 482 millions d’euros octroyés par France Relance.
Les appels à projets sont venus doper l'objectif de décarbonation de l’industrie permettant d’inciter notamment les sites industriels les plus émetteurs, à l’instar de la cimenterie ou de la métallurgie, à réduire considérablement leurs émissions de CO2. Au mois de mars dernier, de nouveaux appels à projets en faveur de la décarbonation de l’industrie ont été également lancés.
Conçues pour encourager les entreprises industrielles à décarboner leur activité et réduire leurs émissions, ces aides représentaient une réelle opportunité au sens financier, environnemental et énergétique. Mais qu’en sera-t-il après 2022 ? Les financements de ce dispositif qui a su faire ses preuves seront-ils reconduits ?
Le plan France Relance a démontré la capacité des acteurs à s’engager dans la voie de la décarbonation via des projets innovants, viables économiquement.
Le futur, à l’issue du plan France Relance reste encore flou mais si les financements viennent à disparaître, il paraît difficile de penser que les objectifs de réduction de gaz à effet de serre seront atteints en 2030.
Alors que le déploiement du plan de relance doté de 100 milliards d’euros n’est pas terminé, le Président de la République a dévoilé, le 12 octobre dernier, les détails d’un plan d’investissement révisé, censé donner de nouvelles orientations pour la France à l’horizon 2030. Ce plan de 30 Mds€ sur 5 ans permettra d’encourager les technologies d’avenir et d'assurer la souveraineté du pays.
Côté “énergie”, une enveloppe de 5 milliards d’euros financera la décarbonation de l’industrie :
De son côté, la Direction générale du Trésor vient de dresser le bilan de la décarbonation de l’industrie française et le verdict est sans appel : le rythme de décarbonation du secteur sur les dernières années est trop lent pour atteindre les objectifs fixés par la Stratégie nationale Bas Carbone.
En effet, le gouvernement français soutient l’ambition européenne sur le climat à travers un objectif de réduction d’au moins 55 % de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Or, la Direction générale du Trésor constate que “ les émissions de gaz à effet de serre se sont réduites de 1,4 % par an entre 2013 et 2019, alors qu’elles devront se réduire de 4,1 % par an d’ici à 2030 conformément à la stratégie nationale bas carbone actuelle …”.
Le bilan démontre également qu’entre 2013 et 2018, chaque année, seulement 12% des sites industriels avaient réalisé des investissements pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
Au regard du manque de visibilité concernant les politiques économiques engagées pour les prochaines années, il convient de mettre en lumière les autres dispositifs pouvant contribuer à la décarbonation de l’industrie française.
Prendre conscience de son impact environnemental est le point de départ de toute démarche de décarbonation. Les entreprises industrielles doivent calculer leurs émissions de gaz à effet de serre, dresser leur bilan carbone pour appréhender où elles doivent agir et mesurer le chemin à parcourir. Et les pistes sont nombreuses pour commencer à réduire son empreinte et agir de manière plus efficace. Substituer les énergies fossiles aux énergies renouvelables, décarboner les matériaux utilisés, repenser son cycle logistique, agir sur la production de déchets, capturer le CO2 au moment de son émission… Quand on parle de décarbonation de l’industrie, il existe plusieurs leviers mais réduire sa consommation énergétique reste le premier à actionner. Décarboner, c’est aussi être prêt à remettre en question sa consommation d’énergie.
La recherche de l’efficacité énergétique est donc une étape clé. Essentielle à la majorité des procédés de fabrication et des utilités, l’énergie est aussi un élément significatif de la compétitivité d’un site industriel. Son coût et ses variations ont un réel impact économique sur l’industrie, en particulier pour les secteurs très exposés à la concurrence. En 2020, la facture énergétique de l’industrie représente près de 15 milliards d’euros. Ces éléments doivent orienter l’effort d’innovation industrielle vers des technologies plus économes en énergie et plus durables.
Pour cela, plusieurs moyens sont disponibles dont le dispositif des certificats d’économies d’énergie en allant chercher des économies d’énergie sur l’enveloppe d’un bâtiment d’un site industriel, sur ses utilités ou encore ses process notamment grâce à la récupération de chaleur ou encore la substitution d’un combustible fossile. Depuis le début du dispositif des CEE, près de 500 TWhc ont été produits dans l’industrie (au 31/08/2021). Cela représente 22,82% des CEE classiques délivrés depuis son introduction.
Le gisement d’économie d’énergie dans l’industrie pour les 10 prochaines années (2021-2030) est connu et semble considérable avec près de 1000 TWhc à explorer selon le scénario haut de l’ADEME.
Les opérations standardisées qualifient les opérations d’économies d’énergie les plus couramment réalisées dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie. Elles sont régies par des fiches répertoriées par secteur, au nombre de 34 dans l’industrie, qui définissent les conditions d’éligibilité, la réglementation, les normes techniques à respecter ainsi qu’une règle de calcul pour déterminer les gains énergétiques potentiels associés.
Toute entreprise industrielle qui souhaite améliorer son efficacité énergétique, dans le strict respect des critères décrits dans les fiches d’opération standardisées, est éligible. Le dispositif soutient le financement des opérations les plus courantes comme la récupération de chaleur sur les fumées, le traitement performant de l’eau sur des chaudières vapeurs ou encore, la pose de matelas isolants sur des points singuliers. Grâce aux opérations standardisées, les entreprises industrielles peuvent espérer un gain de compétitivité important en optimisant leur consommation énergétique.
L’usage du dispositif depuis sa création en 2006 a permis à l’industrie d’amorcer un tournant décisif en faveur de la transition énergétique et de la décarbonation. Un tournant renforcé par l’extension du dispositif, en 2019 aux sites les plus polluants communément appelés EU-ETS comme le prévoyait la Loi PACTE.
Toutefois, ces opérations régies par des fiches s’avèrent limitatives. Elles ne peuvent pas toujours couvrir la réalité complexe des entreprises industrielles et ne rendent pas compte de toutes les actions d’économies d’énergie possibles sur un site, en particulier pour les sites les plus polluants et les plus énergivores. Une alternative existe : les opérations CEE spécifiques, second volet du dispositif des certificats d’économies d’énergie.
Dans l’industrie, les émissions de CO2 sont majoritairement issues des secteurs énergo-intensifs fortement émetteurs comme la chimie, la métallurgie suivie par l’agroalimentaire. C’est autour de ces secteurs les plus polluants et les plus énergivores que doivent se concentrer et se structurer les enjeux d’efficacité énergétique et de décarbonation. D’autant que, selon l’étude réalisée par la Direction générale du Trésor, “la probabilité de réaliser des investissements de décarbonation augmente de façon statistiquement significative avec la taille de l'entreprise, sa productivité, son intensité en énergie carbonée et son inclusion dans le Système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne.”
Pour un site industriel, les CEE sont un dispositif vertueux permettant de s’engager dans un projet de réduction des consommations énergétiques et d’ouvrir la voie de la décarbonation. Premier levier de financement de l’efficacité énergétique, le dispositif est d’ailleurs cumulable avec de nombreuses aides à la décarbonation mises en place par l’Etat. Son élargissement à l’ensemble de ces sites ETS constitue donc une réelle opportunité pour le financement de projets de réduction d’émissions de gaz à effet de serre.
Les entreprises industrielles peuvent ainsi individuellement réduire leur consommation d’énergie et s’engager dans la décarbonation de leur activité en faisant appel aux CEE. Leur éligibilité au dispositif porte sur la mise en œuvre d’opérations spécifiques, deuxième volet du dispositif, permettant de réaliser des économies d’énergie et de réduire les émissions de gaz à effet de serre sur des installations sous périmètre ETS. Ces entreprises, situées sur des secteurs très concurrentiels, peuvent par ailleurs espérer un gain de compétitivité important en optimisant leur consommation énergétique.
Dans le cadre du spécifique, le dispositif attribue des certificats d’économies d’énergie aux opérations les plus performantes énergétiquement, évaluées à partir de mesures d’économies d’énergie réelles. Innovantes, ces opérations spécifiques représentent des gisements d’économies d’énergie importants qui peuvent être sécurisés. Elles sont un levier considérable pour les actions d’économies d’énergie et de décarbonation des sites industriels les plus polluants et les plus énergivores. Plusieurs opérations spécifiques ont d’ailleurs déjà fait leurs preuves dans le secteur.
Nous sommes aujourd’hui à la frontière avec la 5ème période des Certificats d’économies d’énergie qui doit s’étendre de 2022 à 2025. Avec un niveau d’obligation globale fixé à 2500 TWhc, cette prochaine période constitue une nouvelle montée en puissance du dispositif, de nouveaux gisements d’économies d’énergie à explorer mais aussi de nouvelles contraintes pour le secteur industriel en termes de consommation énergétique.
S’engager dans une démarche d’efficacité énergétique, c’est répondre aux enjeux économiques, environnementaux mais aussi sociétaux, à court terme et pour l’avenir. C’est faire le pari d’une industrie qui anticipe le changement plutôt que le subir. Les industriels ont donc tout intérêt à se saisir rapidement de l’opportunité du dispositif pour amorcer leur transformation.
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Comment accélérer la décarbonation des sites industriels ?
Retrouvez le témoignage de Yannick Labrot, Directeur de Neutrali sur B SMART à l'occasion d'une émission consacrée à la RSE.